par Cécile Dumont, docteur en histoire
A la fin d’octobre 1548, ayant pris place dans une mauvaise voiture, quatre voyageurs, deux hommes et deux femmes, quittent Mons discrètement par la porte du Parc. Ils prennent la direction de Tournai, première étape vers l’Angleterre, et première étape vers le salut. Car Augustin Dumarchiet et Nicolas Larchier – c’est ainsi que se nomment les deux fuyards, l’un et l’autre étant accompagné de son épouse – sont des protestants notoires, qui vivent dans la clandestinité et qui, pour échapper aux persécutions, voyagent sans cesse. Hélas, ils n’iront plus bien loin.
La répression du protestantisme et l’odieux massacre des protestants furent à peu près aussi impitoyables sous Charles Quint que sous Philippe II. Les faits sont seulement un peu moins connus. Mais c’est sous Charles Quint que l’Inquisition, qui existait depuis très longtemps en Hainaut, prit l’allure d’une véritable institution et devint un instrument politique. Son rôle était d’arrêter les suspects, de les interroger et accessoirement d’obtenir leur abjuration. Les jugements étaient surtout l’œuvre du Conseil Souverain, tribunal suprême sans doute, mais cour ordinaire et non tribunal d’exception.
Le Conseil Souverain était présidé par le Grand Bailli. Il importe de savoir ici que, de 1537 à 1551, cet officier n’était autre que Philippe de Croy, seigneur de Beaumont et de Chimay seigneur aussi, entre autres lieux, de Château-Porcien dans les Ardennes (près de Rethel). Pendant quelques années, Philippe de Croy s’est démis de sa charge mais c’était pour la céder, ainsi qu’il lui était permis, à son fils aîné Charles, futur seigneur de Beaumont.
Revenons à nos fuyards. Ils sont dénoncés et Philippe de Croy dépêche aussitôt le prévôt de Mons à leur poursuite. L’arrestation a lieu entre Quevaucamps et Stambruges mais Augustin Dumarchiet réussit à s’échapper. Pour les trois autres, c’est le cachot, au château de Mons. Il y a donc là Nicolas Larchier, sa femme. Barbe Couppe, originaire de Beaumont et Marion Fournier, de Quévy-le-Grand, épouse du Montois Augustin Dumarchiet. En ce temps où les ordonnances impériales visent autant sinon plus à la destruction des hérétiques qu’à celle de l’hérésie, ces malheureux ont bien peu de chances de survivre.
Nicolas Larchier est natif de Château-Porcien. Il a séjourné à Strasbourg et Genève. Prédicateur enthousiaste, autant qu’enthousiasmant, «homme de savoir» et d’une grande culture, il fait montre d’un véritable héroïsme. Face à l’inquisition d’abord, face aux juges ensuite et bien que n’entretenant aucune illusion sur son sort personnel, il s’efforce de justifier sa conduite en ne reniant rien de ce qui a pu la motiver. Il a jadis étudié la théologie, est passé à la réforme et revendique son entière responsabilité. Condamné, il refuse de livrer les noms de ses amis et tente de mettre hors de cause son épouse, Barbe Couppe. Celle-ci aura d’ailleurs la vie sauve, après une enquête menée dans sa famille à Beaumont. Nicolas Larchier est exécuté sur la Grand-Place de Mons et Marion Fournier, qu’il n’a pu sauver, subit le même sort.
Augustin Dumarchiet a-t-il espéré trouver un refuge à Beaumont? C’est là en tout cas qu’il est arrêté, quelques semaines après la fin tragique de son ami Larchier. Lui aussi est jugé à Mons, mais ensuite ramené à Beaumont pour y être emprisonné. Charles Quint refusera finalement sa grâce, après deux ans de réflexion et Dumarchiet sera exécuté sur une colline proche de notre ville. Responsable de la sentence de mort, Philippe de Croy ne lui aura pas survécu. Il a été assassiné à Quiévrain de « traîtreuse manière » et de son cachot (probablement de celui de la porte de Binche), le pauvre Dumarchiet a dû percevoir quelques échos de ses majestueuses funérailles. Vingt-neuf ans plus tard, rappelons-le, un autre seigneur de Beaumont, petit-fils de cet inexorable Philippe, pourra se convertir, sans danger particulier, au protestantisme.
Si on en croit Gachard, premier archiviste général du Royaume et grand historien s’il en fut, des idées de tolérance auraient déjà circulé dans les masses et le peuple de chez nous disait et allait dire très longtemps « qu’il y avait de la tyrannie à violenter les consciences et qu’il était barbare de punir de mort des opinions dont Dieu seul était juge». La législation sanguinaire de l’empereur aurait donc heurté quelques consciences. Serait-ce pour cela qu’elle nous a laissé, par l’entremise d’une légende, le souvenir d’une grande rigueur et celui d’une injustice? On ne peut de toute manière comparer en rien les héros de la Réforme aux Auvergnats de notre légende.
E. MAHIEU, « Le protestantisme à Mons des origines à 1575 », Annales du Cercle Archéologique de Mons, t. 66, 1967
L. DEVILLERS, Inventaire des archives de ta ville de Mons, t. III, Mons. 1896.
